Résumé
À l’approche de l’automne, dans une maison isolée, une femme âgée partage son quotidien avec un compagnon inattendu. » Liberté « est une fiction courte et touchante, où la tendresse, la solitude et le passage du temps s’entrelacent avec délicatesse.
Liberté – Fiction
Par Quentin Debande

Nous sommes à l’approche de l’automne, dans une campagne française reculée, loin du bruit incessant des villes. Les feuilles des arbres commencent à changer de couleur, tandis que les températures se rafraîchissent lentement.
Le soleil, quant à lui, se couche de plus en plus tôt. Madeleine décide d’aller chercher du bois dans sa grange avant que la nuit ne tombe. Elle se trouve non loin de sa maison, toutes deux entourées de champs de blé.
Elle marche doucement vers la porte d’entrée à l’aide de sa canne qu’elle tient fermement. Une canne que son défunt fils lui a offerte il y a longtemps. C’est une fidèle amie qui la soutient dans ses déplacements et qui porte aussi le poids de ses soixante-dix années.
Elle s’avance au rythme des coups de canne sur le plancher grinçant. Et, avant même de franchir le seuil de sa porte, elle trébuche brusquement et s’effondre sur le sol dans un lourd fracas.
— Timéo, à l’aide ! crie-t-elle, paniquée.
Le silence est troublant. Personne ne daigne répondre à son appel. Comme si cette petite maison n’abritait qu’elle. Mais qui appelle-t-elle, dans ce cas-là ?
— Timéo ! Je t’en supplie, viens m’aider à me relever ! lança-t-elle à nouveau.
Elle essaye tant bien que mal de se remettre sur ses jambes, mais cela semble être une cause perdue. De plus, sa canne est tombée bien trop loin pour qu’elle puisse l’atteindre. Puis, dans un moment de lucidité, elle s’écrie :
— Euh… Noya, à l’aide !
Après une série de bips électroniques évoquant une séquence d’initialisation, un tas de ferraille surgit de nulle part. Il s’agite, émettant des cliquetis métalliques. Il accourt et prend Madeleine dans ses bras rouillés. Puis, d’une voix saccadée, il dit :
— O-la-la… O-la-la ! Ma…de…leine… Rien… de cas…sé ?
— Je vais bien, Noya, je n’ai simplement pas la force de me relever…
Le robot remet rapidement Madeleine sur ses deux jambes, ramasse sa canne et l’accompagne sur la chaise à bascule présente dans le salon.
— Je te remercie infiniment, Noya… soupire Madeleine en s’asseyant.
— C’est tou-jours un plaisir de vous aider, Ma-del-eine ! Que puis-je faire pour vous à pré-sent ? dit-il en remuant ses vérins.
— La nuit ne va pas tarder à tomber, j’ai besoin que tu ailles me chercher du bois dans la grange. Je l’aurais bien fait moi-même, mais…
— Aucun problème, ma-da-me Ma-de-lei-ne. Ne bou-gez pas, j’en fais mon aff-ai-re !
Noya part alors brusquement dehors pour exécuter l’ordre de sa maîtresse. Les robots ont une place centrale dans la société. Mais ça n’a pas toujours été le cas. Aujourd’hui, tous les foyers en possèdent au moins un, même les plus pauvres.
Noya est ce qu’on appelle un DomoFerm 3000. C’est un nom à coucher dehors pour désigner une machine créée dans le but de lutter contre l’isolement social dans les zones rurales. Il effectue aussi diverses tâches pour aider à la ferme. Cela se résume en général à porter des charges lourdes.
Pendant que Noya s’affaire à l’extérieur, Madeleine, quant à elle, se berce sur sa chaise et semble pensive. Elle attrape un album photo poussiéreux posé sur la table basse.
— Cela fait un moment que je ne t’ai pas ouvert, toi… pense-t-elle, nostalgique.
Il s’agit d’un album photo de famille. Madeleine feuillette les pages lentement, se remémorant des souvenirs balayés peu à peu par le temps. Puis, elle s’attarde sur une photo en particulier. Émue, elle ne peut retenir ses larmes.
Au même moment, le robot entre dans la pièce avec entrain, les bras chargés de bois, en chantant une mélodie que lui seul connaît.
— La la laaa la-aa-aa ! chante Noya en déversant d’un seul geste tout le bois dans la cheminée.
Le vacarme ne fait pas sourciller Madeleine, qui demeure plongée dans son bouquin. Elle est sans doute habituée à la maladresse de son robot. C’est une vieille série qui mériterait quelques ajustements. Mais ce n’est pas une dame âgée et, de surcroît, isolée de tout, qui peut s’en occuper.
Noya se met à la hauteur de sa maîtresse et pose sa main boulonnée sur son épaule.
— Oh, mais c’est Ti-mé-o ! C’était un brave pe-tit ! dit Noya en pointant du doigt Timéo sur la photo.
— Oui, tu as raison, Noya. Et c’était l’amour de ma vie, mon petit bout de chou à moi, répond Madeleine en essuyant les larmes sur son visage.
— Vite vi-te vii-te ! Je vais vous pré-pa-rer votre boi-sson chaude ! dit Noya, bouleversé.
— Merci Noya, que ferais-je sans toi à mes côtés… répond Madeleine d’une voix tremblante.
En effet, si Noya ne faisait pas partie de sa vie, Madeleine serait triste et seule. Ce robot a beau être maladroit, il n’en reste pas moins attachant, pense-t-elle.
Noya se dirige vers la cuisine et prépare la boisson favorite de Madeleine. Un délicieux chocolat chaud. Un pansement émotionnel à la fois doux et sucré qu’elle aime tant. Quand soudain :
— Aïe aïe aïe ! Quel em-po-té ! dit-il en ramassant la tasse en morceaux.
Noya nettoie son désordre avant de s’y remettre. Il fait chauffer le lait, incorpore le chocolat et le sert à Madeleine, veillant à ne rien renverser.
— Atten-tion, c’est chaud ! dit Noya en s’asseyant à ses côtés.
— Merci infiniment, Noya.
Elle trempe les lèvres et dit :
— C’est succulent comme toujours. Bravo, Noya !
Noya est fier et vibre de tous ses circuits.
— On joue aux cartes, Ma-de-lei-ne ? dit Noya pour lui occuper l’esprit.
— Oui, volontiers, répond Madeleine en saisissant un paquet de cartes.
Ils jouent ainsi pendant une bonne heure, durant laquelle Noya fait voltiger les cartes à trois reprises et a manqué de renverser la table. Ce qui a le mérite de faire rigoler Madeleine et de lui changer les idées. La preuve en est que le feu n’a même pas été allumé dans la cheminée.
— Et voilà, j’ai encore gagné ! crie Madeleine, le sourire aux lèvres.
— Bravo, Ma-de-lei-ne, vous êtes la mei-lleure, répond Noya, affichant un grand smiley sur son visage.
Madeleine en a marre de jouer, elle est fatiguée. Elle range donc les cartes dans leur étui cartonné. Le calme est revenu dans la pièce, on entend uniquement la pendule de l’horloge.
— Tu sais ce que c’est, mon rêve, Noya ?
Noya fait mine de ne pas savoir et hausse son châssis.
— Voyager à travers le monde. Il y a tellement de choses à voir, tellement de choses à vivre. Mais malheureusement, c’est hors de ma portée. Je suis trop vieille pour cela maintenant, radote-t-elle.
— C’est un rêve ex-tra-or-di-naire ! répond Noya.
— Tu n’aimerais pas voyager, toi ?
— Je ne me suis ja-mais posé la question. Je suis pro-gra-mmé pour rester à vos côtés et vous aider.
Le sommeil gagne peu à peu Madeleine, ses yeux se ferment lentement. Mais avant de se faire emporter par ses songes, elle murmure une phrase :
— J’espère que, quand je ne serai plus là, tu reprendras ta liberté… que tu pourras voyager, vivre tes propres aventures, et ne connaîtras pas les regrets qui ont été les miens.
Avait-elle perdu la tête au point d’humaniser Noya de la sorte ? Elle seule pourrait répondre à cette question. Mais nous ne pouvons ni savoir, ni juger ce qu’ils ont vécu. Un lien reste un lien, machine ou pas.
Après ces mots, elle s’endort dans un sommeil profond. Noya se lève, prend une couverture et couvre délicatement Madeleine pour ne pas qu’elle ait froid.
Puis, Noya se dirige vers sa station de recharge, se branche et se met en veille. Il programme son réveil juste avant celui de Madeleine, à 6h45 précisément.
La nuit est passée. Le soleil commence gentiment à pointer le bout de son nez et traverse les fenêtres de sa lumière. Le coq chante dans la basse-cour située derrière la grange.
Après un bip d’initialisation et un bruit de ventilateur, Noya se met en route. Comme chaque matin, il va dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Il s’active, constitue un plateau et l’apporte à Madeleine.
Celle-ci n’a pas bougé d’un poil et dort toujours à poings fermés. Noya essaie donc de la réveiller doucement.
— Bonjour Madeleine, votre petit déjeuner est servi, dit-il en secouant délicatement son épaule.
Mais Madeleine ne réagit pas. Trouvant cela étrange, Noya scanne le corps de la vieille dame avec ses capteurs. Ses graphiques présentent une réalité tragique. Madeleine est sans vie, emportée dans son sommeil.
— Repose en paix, Ma-de-lei-ne… dit Noya en posant la main sur le front de sa défunte maîtresse.
Perdu, déboussolé, le robot déambule dans la maison sans but précis. La raison de son existence venant tout juste de disparaître, Noya ne sait plus où donner de la tête.
Puis, la dernière phrase de Madeleine, restée en mémoire, lui revient tout à coup. Elle résonne dans sa ferraille comme une toute dernière instruction.
— Je vais poursuivre le rêve de ma maîtresse, dit-il avec assurance.
Cette idée le conquiert, il en tremble même de joie. Si on peut appeler cela de la sorte. Il se dirige vers la porte, l’ouvre et prend conscience de l’immensité du monde à découvrir.
Mais, sur le seuil de la porte, ses articulations sont bloquées. Comme si un programme interne l’empêchait d’exécuter cette instruction. Il reste alors figé là, devant le soleil levant. Incapable de bouger, dans une maison silencieuse et vide.
Remerciements
Merci d’avoir pris le temps de lire Liberté.
Cette histoire me tient particulièrement à cœur, et j’espère qu’elle vous a touché autant que j’ai pris plaisir à l’écrire. Si elle vous a plu, n’hésitez pas à laisser un commentaire et à la partager. Vos retours sont précieux et m’encouragent à continuer à écrire et à offrir encore plus de récits accessibles à tous.
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4 Responses
Une jolie histoire, à la fois belle et émouvante. Ce fut un vrai plaisir de la lire
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de partager ton feedback, ça compte vraiment !
Belle histoire émouvante et étonnante. 👍
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